Le petit jour se levait sur la ville. Les artisans, déjà debout depuis l'aube, étaient en train de s'activer pour préparer leur commerce. Les ivrognes quittaient leurs lieux de débauches favoris pour tenter, tant bien que mal, de regagner leurs pénates tout en priant que leurs moitiés soient conciliantes, ce matin-là ! Les voleurs qui n'avaient pas encore regagné leurs cachettes ou leurs protecteurs, filaient comme des ombres indistinctes sur les toits ou dans les ruelles. En somme, c'était l'heure ou les oiseaux de nuit et les noctambules laissaient place aux « honnêtes travailleurs ».
Pour Solyane Gilsaïane, les choses étaient différentes. Car si elle appartenait sans nul doute au milieu des activités nocturnes, elle s'adonnait aussi souvent à des rondes diurnes. Le crime et les injustices ne dormaient jamais et elle trouvait souvent quelque chose pour s'occuper, de nuit comme de jour.
Mais depuis quelques mois, son quotidien avait changé. Elle ne se limitait plus aux murs de sa ville. Depuis qu'elle avait redécouvert le monde extérieur et qu'elle avait appris l'existence d'autres races, elle portait un intérêt de plus en plus marqué pour les explorations. Même si elle passait encore le plus clair de son temps dans la sécurité de la Terre des Rescapés, elle se permettait des sorties de plus en plus fréquentes.
Locke, celui qu'on pouvait décemment considérer comme son « meilleur ami », l'avait accompagné de temps à autres. Lui aussi s'était découvert un côté aventureux. Contrairement à la pauvre Alicia qui demeurait une pure citadine. Pour elle et pour les autres gamins dont il se sentait responsable, les sorties de Locke étaient bien moins nombreuses que celles de Solyane. Il fallait dire que, contrairement à elle, il n'avait aucun contact en dehors des murs de la cité. Il n'avait vu Scylla Fentkraës que très peu de temps et il n'en gardait pas les meilleurs souvenirs du monde. Quand bien même Solyane l'avait par la suite rassurée sur la véritable personnalité de cette impétueuse et impressionnante guerrière.
* * *
- Tu as l'intention de repartir en exploration ? Questionna Alicia alors que Solyane et elle étaient attablés à une petite auberge de la ville.
- Je n'en sais rien, pourquoi ?
Le plus souvent, Solyane ne réfléchissait pas avant de savoir si elle comptait partir. Elle avait toujours fait selon ses pulsions du moment. Ce qui faisait d'elle un élément des plus imprévisible. Voilà peut-être la raison qui expliquait qu'elle ne faisait pas vraiment partie du groupe que menait Locke.
- Oh, pour rien. Simplement je me demandais si on allait encore devoir se passer de toi dans les parages pendant dieux sait combien de temps.... Tu sais que je n'aime pas quand tu t'aventures loin de la cité !
- Alicia, tu es adorable de t'inquiéter pour moi, mais je t'assure que je prends toutes les précautions possibles quand je pars en promenade.
Mais la brune jeune fille était loin d'être convaincue. Elles avaient déjà discuté de ça plusieurs fois et jamais Solyane n'arrivait à la convaincre de sa prudence. Locke vint se joindre à elle à ce moment-là.
- Bien le bonjour, gentes dames ! Les salua-t-il en se laissant tomber sur l'une des chaises libres.
Solyane eut un rictus amusé.
- Qu'est-ce qui te met de si bonne humeur ?
- Pourquoi faudrait-il que je sois forcément de bonne humeur ?
- Parce que nous ne sommes ni « gentes », du moins en ce qui me concerne, ni « dames ». Et parce que si tu étais un paon, tu serais en train de te dandiner en faisant la roue ! Alors, quel coup génial as-tu réussi ?
Le sourire que s'efforçait de dissimuler Locke jusque là s'épanouit sur ses lèvres. Son regard chaud pétilla de malice.
- D'accord, d'accord ! Disons juste qu'hier après midi, j'ai repéré l'arrivée d'un personnage visiblement très riche en ville. Et cette nuit je suis allé faire un petit tour dans la chambre où il est descendu ! Et j'y ai trouvé suffisamment de rubis et de saphirs pour en faire pleurer d'envie n'importe quel orfèvre.
Il avait parlé à voix basse, uniquement pour les oreilles d'Alicia et Solyane. Il aurait été particulièrement imprudent de se vanter à trop haute voix d'un tel exploit dans un lieu fréquenté. Surtout que « Le rubis sur l'ongle » n'était pas l'un de leurs lieux de prédilection. S'il s'agissait d'un établissement modeste, l'aubergiste était quelqu'un qui ne voulait pas avoir à faire aux « voyous des rues ». De plus il n'était pas rare de voire des gardes de la ville venir y prendre une chope ou deux car les prix de l'auberge étaient très attractifs. Par chance, ce matin-là, il n'y avait quasiment personne en dehors des trois compères.
- Et qu'est-ce que tu comptes faire de ces pierres qui vont sûrement manquer à leur propriétaire ? Demanda Solyane.
Elle n'avait strictement aucune pitié pour la victime de ce larcin. Tout au plus une parfaite indifférence. Nul doute que si ce mystérieux homme avait eu les moyens de rassembler une fois une telle somme, il trouverait bien le moyen de renouveler cet exploit.
- Premièrement, je vais les garder cachées un petit moment, le temps que ma victime s'en aille ou que cette histoire se tasse si jamais il vient se plaindre du vol. Ensuite je vais aller voir un orfèvre avec qui j'ai déjà eu l'occasion de travailler. Et pour finir, j'offrirai un véritable festin à tout le groupe ! Tu seras la bienvenue, Sol', évidemment !
La jeune femme eut un sourire en coin. Depuis que Scylla lui avait appris à mieux se servir des armes, elle avait déjà eu l'occasion de rendre deux ou trois menus services sur les routes. Un gagne-pain un tout petit peu plus dangereux que le chapardage en ville mais plus légal et plus excitant. Cela dit, elle devait bien admettre que parfois le larcin pouvait rapporter bien plus gros. Si, toutefois, on se montrait assez prudent pour jouir tranquillement de son butin.
* * *
Solyane revenait d'une nouvelle sortie hors de la ville. Elle ne s'en était jamais préoccupée jusqu'à présent, mais revoir ce paysage fermier qu'elle avait connu dans les premières années de sa vie lui faisait du bien. Plus qu'elle ne voulait bien l'admettre, en tous cas.
Alors qu'elle s'était arrêtée chez un boulanger pour y savourer une tourte fumante, elle vit l'une des plus jeunes membres du groupe de Locke accourir vers elle. La pauvre petite avait l'air totalement paniquée. Les sourcils froncés, Solyane la regarda approchée en finissant sa bouchée de tourte. Lorsque la gamine s'arrêta, elle se plia en deux, à bout de souffle. Solyane attrapa son outre d'eau, fit passée sa bouchée de tourte avec une gorgée d'eau puis elle la tendit à l'enfant. Elle l'accepta avec reconnaissance.
- Quand tu seras en état de le faire, rappelle-moi ton nom et dis-moi donc pourquoi tu as l'air d'avoir un démon aux trousses ?
La fillette but encore une gorgée avant d'acquiescer.
- Je m'appelle Louison. Et on te cherches tous un peu partout dans la ville depuis ce matin ! Déclara-t-elle finalement.
- Comment ça « vous me cherchez tous » ?
- Bah, nous... Le groupe... Tu sais bien...
- Oui, oui, mais dis-moi pourquoi est-ce que vous me cherchez ?
- A cause de Locke ! Il est malade !
Solyane haussa un sourcil perplexe. Locke était d'une constitution extraordinaire. Cela faisait des années qu'elle le connaissait et elle ne l'avait presque jamais vu malade. Et même lorsqu'il avait souffert d'une fièvre qui aurait cloué au lit n'importe quel autre, lui avait continuer à s'occuper des siens et de ses activités. Jamais il ne laissait qui que ce soit se rendre compte qu'il allait mal.
- C'est Alicia qui nous a demandé de te trouver. Poursuivit Louison.
- Elle aurait dû vous demander de chercher un médecin ! Si Locke est malade...
- Alicia nous a dit qu'il fallait que ce soit toi !
L'incrédulité de Solyane ne faisait qu'augmenter. Il fallait qu'elle aille voir ça de plus près. Elle tendit le reste de sa tourte à l'enfant. Elle réalisa seulement alors à quel point elle était maigre.
- Tiens, prends. Tu peux tout garder pour toi ou aller la partager avec tes amis, si tu veux ! Moi je n'ai plus faim.
Ce n'était pas tout à fait vrai mais l'émerveillement qui alluma le regard marron de l'enfant valait bien ce petit sacrifice.
Il lui fallut quelques minutes pour se souvenir de l'endroit où avait l'habitude de se réfugier Locke. En chemin, elle avait croisé d'autres gamins qui s'étaient empressés de lui raconter la même histoire que Louison. Ils l'avaient ensuite accompagnée. Sur place elle retrouva Alicia au chevet de Locke allongé sur un semblant de matelas. Il avait les traits tendus et ses vêtements étaient collés à son corps à cause de la sueur. Nul doute qu'il devait aller vraiment mal pour qu'il en soit resté alité.
- Alicia ! S'exclama Solyane, maintenant inquiète. Que se passe-t-il ?
La blonde jeune femme avait perdu toute trace de bonne humeur. L'angoisse se reflétait sur son visage rond.
- Solyane ! Enfin, tu es là !
- La petite Louison est venue me dire que vous me cherchez depuis ce matin ! Pourquoi n'as-tu pas demandé un médecin à la place ?
- C'est ce que j'ai voulu faire mais c'est Lockie qui a insisté pour te voir. Il ne fait que ça lorsqu'il reprend connaissance.
Solyane s'agenouilla près de Locke. Son front était luisant de la même sueur qui trempait ses vêtements. Des mèches brunes étaient collées, humides. Alicia les repoussa d'un geste doux, maternel.
- Au bout d'une heure comme personne n'arrivait à te trouver, j'ai quand même appeler un médecin. Hier encore Lockie était en pleine forme ! C'est incompréhensible. D'ailleurs, le médecin lui-même a eu du mal à comprendre ce qui a pu déclencher cette fièvre.
Un gémissement s'éleva. Locke s'agita, marmonnant des choses inaudibles. Cela dura quelques secondes avant qu'il ne s'immobilise une nouvelle fois.
- C'est comme ça depuis tout à l'heure. Il a réussi à me parler de cauchemars affreux, mais c'est tout. Continua encore Alicia.
Solyane posa une main sur l'épaule du jeune homme et le secoua doucement.
- Locke ? Locke, c'est moi, Solyane ! Je suis là, maintenant.
Il remua une nouvelle fois et ses yeux papillonnèrent. Une lutte semblait opposer son esprit et son corps entre inconscience et réveil.
- Sol ? Appela-t-il d'une voix enrouée. Sol ?
- Je suis là !
Elle pressa doucement son épaule. Il ouvrit alors les yeux pour de bon. Ses yeux étaient voilés par la fièvre et il mit quelques instants pour faire le point sur son visage.
- Sol... Les pierres...
- Les pierres ?
Elle était tellement focalisée sur l'état de santé de son ami qu'elle ne comprit pas tout de suite de ce dont il parlait. Qu'est-ce que des pierres venaient faire là-dedans ?
- L'oeil de chat...
- Pardon ?!
D'abord des pierres et maintenant l’œil d'un chat ? Locke devait vraiment avoir une sacrée fièvre pour délirer comme ça. Elle eut un regard interrogateur pour Alicia mais celle-i semblait être aussi perdue qu'elle.
- Le vol ! Insista alors Locke.
Soudain Solyane se souvint. Il était vrai que deux jours plus tôt, Locke avait dérobée des pierres précieuses à un homme visiblement riche. Une enquête était toujours en cours pour retrouver le mystérieux voleur.
- Et c'est quoi cet « œil de chat » ? s'enquit-elle alors.
Maintenant qu'elle comprenait l'implication des pierres, il lui restait encore ce détail à régler. Elle fouilla alors dans ses souvenirs mais elle ne connaissait aucun établissement de ce nom. Locke sembla faire un effort surhumain pour se ressaisir et formuler une phrase complète :
- Entre les rubis et les saphirs... Il y a une pierre rouge, très sombre, presque noire... Avec un trait plus clair au milieu... C'est l’œil de chat !
Il tendit le doigt vers un coffre. Comprenant que c'était là qu'il avait dû cacher son fameux butin, Solyane alla l'ouvrir. Elle y trouva des affaires, un sac qui tinta quand elle le déplaça – sûrement des bouteilles d'un alcool quelconque – des vêtements, des bottes et enfin, une bourses rebondie. Elle l'ouvrit et remarqua d'abord le rouge profond des rubis. Elle farfouilla à l'intérieur et vit ensuite quelques saphir. Il y en avait pour une véritable fortune. Soudain, elle la vit. Une pierre ronde et lisse, avec ce trait vertical en son centre. La bourse était si remplie qu'elle fut finalement se résoudre à tout faire sortir pour pouvoir la prendre. Les rubis et les saphirs se répandirent dans une série de cliquètement sur les lattes du parquet brut de la petite pièce. La pierre étrange – celle que Locke avait baptisée « œil de chat » – roula sur le sol en même temps que le reste. Alicia poussa une exclamation de surprise en voyant un tel trésor. C'était bien plus de richesse qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer. Comment quelqu'un de censé pouvait-il se promener avec une telle masse de joyaux ?
Lorsqu'elle voulut se saisir de la pierre zébrée, Solyane poussa un cri de douleur et de surprise mêlée. Le joyau venait de lui brûler la main. C'était en tous cas l'impression qu'elle avait eu en la prenant. Des picotements désagréables lui restaient sur la peau, dans la paume de la main et le long du bras. Elle regarda la pierre d'un œil sévère, comme si elle voulait la punir de ce contact douloureux. Mais comme si ce n'était pas tout, la pierre s'illumina un bref instant. Sa surprise fut surpassée par un vertige soudain et passager. Un goût de cendre lui emplit la bouche et pendant une fraction de second, elle eut la sensation d'être observée.
- Solyane ! L'interpella Alicia.
Elle revint péniblement à la réalité et chassa les sensations incompréhensibles qu'elle venait de ressentir.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Je... Je n'en sais rien. Bafouilla la belle brune.
- Tu ne vas quand même pas tomber malade, toi aussi !
Solyane secoua la tête. Elle revint ensuite vers Locke. L’œil de chat traînait toujours par-terre. Elle n'osait pas le toucher à nouveau.
- Cette pierre... Qu'est-ce qu'elle a de particulier ? Est-ce que c'est à cause d'elle que tu es malade ? Demanda-t-elle au jeune homme.
Luttant de nouveau contre la fièvre et l'inconscience, il acquiesça.
- Des cauchemars... J'ai chaud... C'est comme un poison... Dans mes rêves... L'homme, le voyageur à qui j'ai volé la pierre... Il me dit des choses. Il dit que... Que je suis maudit et que... Je vais mourir...
- C'est ridicule ! Tu es malade, pas mourant !
- Sol, c'est la vérité. Je le sais, je le sens !
Elle se demanda alors jusqu'à quel point la fièvre était capable de nous faire délirer. Pourtant elle se souvenait encore de la sensation de brûlure ressentie lorsqu'elle avait trouvé la pierre. Et ce malaise qui l'avait subitement prise ? Est-ce qu'il pouvait s'agir de magie ? Une magie néfaste qui affecterait son ami ? Mais dans ce cas-là, est-ce qu'il était véritablement maudit ? Elle n'y connaissait rien dans ce domaine. Elle songea alors que s'il s'agissait d'une malédiction, c'était sûrement pour punir quiconque aurait cherché à voler le propriétaire de ces bijoux. Il n'y avait donc qu'une seule chose raisonnable à faire.
- Locke, repose-toi, je vais essayer d'arranger les choses ! En tous cas, je vais essayer. (Elle se tourna ensuite vers Alicia.) Je te le confie.
- Mais qu'est-ce que tu vas faire ?
- Rendre cet objet de malheur à son propriétaire. En espérant que ça soit suffisant pour lever la malédiction.
- Tu crois vraiment à ça ?
- J'ai vu de la magie œuvrer sous mes yeux, j'ai appris que d'autres créatures que les démons étaient capable d'en utiliser et j'ai appris beaucoup de choses auxquelles je ne croyais pas avant. Alors pourquoi pas ?
Elle se leva pour venir s'agenouiller près des pierres précieuses. Elle commença par ranger les saphirs et les rubis dans la bourses, gardant la pierre maudite en dernier. Ainsi elle serait la première chose que pourrait voir le propriétaire et il pourrait ensuite lever la malédiction. Mais lorsqu'elle voulu la prendre, le même phénomène de brûlure survint. Après avoir poussé un nouveau cri, elle demanda finalement à Alicia de ranger la pierre à l'intérieur de la bourse pour elle. Sans contact direct, elle ne ressentit pas cet étrange réaction.
* * *
Solyane avait réussi à extorquer le nom de l'auberge où Locke était allé dérober la bourse avant de laisser celui-ci se reposer. Le luxe de l'auberge était impressionnant mais elle ne perdit pas de temps à admirer ce qui l'entourait. Plus vite elle aurait réglé cette histoire mieux cela vaudrait pour son ami. La femme à l'accueil la regarda entrer et s'approcher du comptoir d'un œil désapprobateur. Il ne fallait pas être physionomiste pour s'apercevoir que la jeune femme ne correspondait en rien aux standards de la clientèle habituelle de cet établissement.
- Qu'est-ce que tu veux ? Lança-t-elle d'un ton sec.
Solyane jugea préférable de ne pas relever la condescendance de son interlocutrice.
- Vous avez hébergé un homme qui a été délesté d'un bien précieux, il y a quelques jours ! Déclara-t-elle. Je crois que j'ai retrouvé ce qui lui appartient.
La femme la fusilla du regard. Peut-être était-elle en train de se dire que la jeune femme était en train de la prendre pour une idiote.
- Tu as l'air particulièrement bien renseignée, toi !
- Est-ce que cet homme est encore là ?
- Comment tu sais qu'il a été volé ? Et comme tu sais ce qui lui a été pris ?
- Est-ce qu'il est encore là, oui ou non ?
Solyane n'avait aucune intention de dénoncer son ami et encore moins de risquer elle-même la prison. Elle voulait simplement rendre cette satanée bourse et son cadeau empoisonné. Finalement un homme apparut.
- C'est quoi, le problème ? Lança-t-il.
- Cette drôlesse prétend avoir trouvé ce dont notre client s'est plaint d'avoir été délesté, il y a deux jours de ça !
- Est-ce qu'il est toujours ici ? Insista Solyane. Je suis là pour lui rendre ce qu'il a perdu !
Une nouvelle voix intervint, empêchant le tenancier sceptique de poser de nouvelles questions.
- Oui, je suis toujours là !
Solyane se tourna vers le nouvel arrivant. Sa voix était profonde, posée. Tout en lui inspirait le respect de l'autorité. Malgré ses cheveux courts et grisonnants, et sa moustache et sa barbe taillées en collier de la même teinte, il ne semblait pas vraiment âgé. La coupe de ses vêtements de velours noir était absolument impeccable. Les broderies semblaient être faites d'argent. Son regard gris acier scrutait le monde en donnant l'impression d'être jugé dans les moindres détails. Il était grand, ce qui renforçait encore cette impression de dominance. Le gris de ses iris se vrillèrent au violet de celles de la jeune femme. Un léger pli, à peine distinct, entre ses sourcils fit son apparition. D'abord déstabilisée par la prestance de l'inconnu, Solyane se reprit et lui tendit la bourse.
- Il me semble que ceci vous appartient !
Il resta immobile quelques secondes, se contentant de l'observer en détails. Puis il tendit une main gantée et s'empara de la bourse. Il l'ouvrit et en détailla le contenu. Solyane s'abstint de commenter que tout y était. Cela aurait été un peu trop en faire. Elle n'était pas censée connaître le contenu exact de la bourse. Il était déjà suffisamment étrange qu'elle ait su faire le lien entre cette bourse et l'homme.
- Puis-je vous demander comment vous avez fait pour retrouver ma bourse ?
- J'ai volé votre voleur ! Prétendit-elle.
Ce n'était pas si éloigné de la vérité que cela, d'ailleurs. Basiquement, elle n'avait pas demandé l'autorisation à Locke de reprendre son butin.
- Justice devait être rendue. Affirma-t-elle ensuite.
- La justice... Oui, voilà un bien joli concept. Fit l'homme d'une voix basse et légèrement amusée. Avez-vous vu dans quel état était ce... voleur ?
Il savait ! Enfin, bien sûr qu'il savait. C'était sûrement lui qui avait jeté ce sort sur la pierre. Solyane s'approcha de lui de manière à ce qu'il soit seul à entendre ses mots.
- Votre bourse vous a été rendue, avec tout ce qu'elle possédait. Levez le sort dont souffre mon a... Le voleur.
Elle s'était repris très rapidement mais elle sut instantanément qu'il avait compris ce qu'elle avait failli révéler.
- N'est-ce pas vous qui souhaitiez que « justice soit rendue », jeune fille ? Eh bien c'est exactement ce qu'il est en train de se passer.
- Le prix d'une vie est trop chère payé pour un simple vol !
Elle ne savait pas si c'était une bonne idée de laisser la colère monter en elle et transparaître autant dans sa voix. Mais elle n'avait pu s'en empêcher. Locke avait été le premier ami qu'elle n'ait jamais eu de sa vie. Il était même le seul à qui elle acceptait de faire sincèrement confiance. Néanmoins l'homme ne se départit pas de son amusement. Au contraire, il semblait même être de plus en plus ravi de la situation.
- As-tu essayé de toucher la pierre ? La rouge, celle que tu as si bien mise en évidence dans la bourse alors que j'ai, moi, mis un point d'honneur à la laisser dissimulée sous les rubis et les saphirs ?
Solyane se mordit la lèvre. Comment pouvait-il savoir que c'était elle qui avait remis les pierres dans la bourse ? Enfin, presque toute puisqu'elle avait été incapable de tenir l’œil de chat. Mais inutile d'impliquer Alicia en prime.
- Dans ce cas, tu rejoindras bientôt ton ami !
- Je n'ai pas pu !
Elle ne savait pas très bien pourquoi elle venait de faire cet aveu. Peut-être parce que les yeux si pâles de cet homme donnaient l'impression d'être capable de lire jusqu'au plus profond de son esprit.
- Elle m'a brûlée à chaque fois que j'ai voulu la prendre ! Poursuivit-elle en frottant sa main droite sur son bras.
Elle avait encore l'impression de ressentir les picotements désagréables. Cette fois, l'amusement de l'homme sembla s'évanouir, remplacé par un intérêt perplexe. Il passa une nouvelle fois Solyane sous le feu inquisiteur de son regard.
- Tiens, tiens. Voilà qui est très intéressant. Dis-moi, jeune fille, quel est ton âge ?
Solyane le regarda sans comprendre. Elle bafouilla quelque chose qu'elle aurait voulu être un « Qu'est-ce que ça peut vous faire ? » mais qui au final se révéla simplement être un amalgame raté de mots incomplets. Son regard s'étrécit et ce fut comme s'il avait eu le pouvoir de presser l'esprit de Solyane jusqu'à obtenir la réponse attendue.
- Dix-neuf ans !
- Tant que ça !
Il sembla réfléchir un moment. Puis, comme s'il avait pris une décision, il tendit la bourse à Solyane.
- Après tout, ça pourrait être très amusant. Tu veux libérer ton ami du sort qui est en train de le tuer à petit feu ? Il n'y a qu'une seule personne capable d'y arriver. Mais ce ne sera pas facile de l'atteindre. A toi de voir si la vie de ton ami vaut la peine d'aller jusque là-bas !
- Jusqu'où ? Demanda Solyane, anxieuse.
- La forteresse maudite, sur le Continent Sibyllin. Le foyer des démons et des vampires. Celui que tu cherches y résides.
Solyane sentit son sang se glacer dans ses veines. Les démons, ces êtres qu'elle haïssait par-dessus tout ! Et pour sauver Locke, il lui fallait purement et simplement se rendre directement sur leurs terres ? Rien que ça ! Elle comprenait seulement la pertinence de la remarque de l'homme : Est-ce que cela valait la peine ? Est-ce qu'il ne valait mieux pas accepter d'endurer le chagrin de la perte de son ami ? Son seul véritable ami. Le meilleur qu'elle n'ait jamais eu et qu'elle n'aurait sûrement jamais !
- Qui dois-je chercher ? Soupira-t-elle finalement.
- Amusant, vraiment très amusant ! La pierre ensorcelée sera ton meilleur guide. Lorsque tu seras près de celui qui est à l'origine de ce sort, tu ressentiras un vertige te prendre. Du moins si tu as toujours la pierre avec toi !
Il sortit un médaillon de sa veste.
- Cependant je suis beau joueur. Je vais te montrer à quoi il ressemble.
Il ouvrit le médaillon et révéla la miniature d'un homme au long cheveux noirs. Le visage fin et pâle, anguleux, des yeux légèrement enfoncés, un nez droit surmontant une bouche fines. Il était vêtu d'une veste sombre laissant dépassé un jabot d'une blancheur éclatante. Il était d'une beauté indéniable, mais d'une beauté glaçante.
- Qui est-ce ? Demanda Solyane.
- Lui ? Eh bien, je pense qu'on peut dire qu'il s'agit de ton père !
* * *
« Il s'agit de ton père ».
Ces mots raisonnaient encore à l'esprit de Solyane. Ils n'avaient cessés de la torturer tout au long du voyage qu'elle avait engagé jusqu'au continent maudit. Elle ne voulait pas, ne pouvait pas, croire que son père était un démon. Cela n'aurait strictement aucun sens. Pourtant, d'après Kephret – l'homme aux yeux gris qui lui avait lâché cette information qui l'avait profondément ébranlée – c'était parce qu'elle était la fille du démon Baltrigon, le démon de la miniature, qu'elle ne pouvait toucher la pierre. L'ascendance démoniaque qui marquait ses gênes rejetait son sang humain.
Drapée sous la cape noire et épaisse qu'elle s'était achetée grâce aux rubis et aux saphir que Kephret lui avait permis de garder en même temps que la pierre ensorcelée – Solyane leva les yeux Basinshear, le casino où Baltrigon aimait passer son temps entre jeux, femelles et alcool. S'il n'y était pas, elle n'aurait plus qu'à chercher la demeure de Baltrigon. Ce qui risquait de lui poser de gros problèmes. Lorsqu'elle avait demandé à Kephret pourquoi il ne lui révélait pas directement l'adresse de Baltrigon, il lui avait fait savoir qu'il l'avait déjà beaucoup trop aidée et que s'il lui donnait cette information, toute cette aventure serait bien moins amusante à ses yeux.
Solyane serra les mâchoires, maudissant pour la millième fois Kephret, Baltrigon et les démons en général. Elle rassembla tout le courage qui lui restait encore et poussa la porte du casino. Jusqu'à présent, elle avait réussi à rester en vie et loin des ennuis. Pourtant il s'en était fallu de peu à plusieurs reprises. Seulement, elle sentait que dans cet endroit où le danger devait être aussi rapide à venir que la malchance, il lui faudrait redoubler de prudence. Elle commença par glisser la bourse dans son corsage de cuir. La voleuse qu'elle était ne connaissait que trop bien la facilité de subtiliser une bourse à la ceinture lorsqu'on était doué. D'autant plus dans un endroit qui accueillait autant de monde.
S'avançant entre les tables, elle fouilla l'endroit du regard. Elle n'avait aucune envie de s'attarder ici et plus vite elle pourrait avoir une petite discussion avec Baltrigon – qu'elle refusait encore de considérer comme son père – pour essayer de le convaincre de lever la malédiction jetée sur Locke. Comment allait-elle y parvenir ? Excellente question ! Qu'était la vie d'un humain aux yeux d'un démon ? Et qu'était la compassion sinon un concept aussi éloigner de leur vision du monde que pouvait l'être le soleil du sol ? Pourtant elle ne pouvait plus faire demi-tour. Ce serait ridicule d'avoir fait toute cette traversée pour partir sans même avoir essayé.
Sa vie illégale dans les rues de la ville lui avaient longtemps servi à repérer les dangers possibles. Peu nombreux sur sa terre natale mais omniprésents ici. C'est grâce à cela qu'elle était parvenu à faire profil bas jusque là et c'est ce qui lui permit de remarquer qu'elle était suivie. Oh, l'homme était discret et donnait facilement l'impression de simplement papillonner d'une table à l'autre en distribuant mots agréables et questions polies. Mais Solyane l'avait surpris à la regarder à plus d'une reprise. Elle ignorait s'il lui voulait du mal ou non, mais elle se promit de le garder à l’œil. Les différentes personnes autour d'elle s'adressaient à lui avec un certain respect. Elle en conclut donc qu'il devait s'agir du gérant du casino.
Tout en faisant régulièrement attention à ce que faisait le gérant et en déclinant les invitations de ceux qui géraient les tables, Solyane continuait à chercher le démon qui avait motivé sa venue ici. Ce serait bien le diable – façon de parler – si elle avait choisi justement le jour où il n'avait pas été d'humeur à aller se divertir pour faire tout ce chemin. Cependant, il n'était pas complètement exclu que, d'une manière ou d'une autre, Kephret ait prévenu son « ami » qu'une jeune humaine était à sa recherche. Qui savait ce que leurs pouvoirs leur permettait de faire ?
Elle commençait à sérieusement douter lorsqu'elle le vit enfin. Il lui sembla immense. La masse ondulée de ses cheveux noirs drapait son dos et ses épaules, renvoyant ses reflets aile de corbeau. Ce soir-là, il portait une veste d'un rouge si sombre qu'il en semblait presque noir. Son pantalon noir à la coupe près du corps, plongeait dans ses bottes de cuir, couleur acajou, au talon marqué. Un liseré argenté marquait le rabat de cuir en haut des bottes ainsi que la couture latérale. Comme il lui tournait le dos, elle ne voyait pas encore son visage, mais comme elle l'entendait rire, nul doute que l'expression qu'elle aurait pu y voir aurait été foncièrement différente de celle de la miniature. Ce rire... Si la condescendance, la certitude que tout devait lui appartenir et celle d'être le plus bel être de la création avaient pu être transformées en un son, Solyane était certaine que ça aurait ressemblé à ce rire-là. Qu'est-ce que ça serait lorsqu'elle l'entendrait parler ? Pourtant, elle peinait à trouver ce rire désagréable.
Finalement, il s'assit à la table où des femmes – sûrement des démones – en pâmoison l'avaient invité. Solyane eut alors tout loisir d'observer son visage. Si elle l'avait déjà trouvé beau sur la miniature, ce n'était rien comparé à la grâce naturelle qui émanait de lui. Comme elle s'y était attendu, loin de l'indifférence de son portrait, il exprimait joie et plaisir. Et cette expression lui allait si bien qu'elle se demanda pourquoi il n'avait pas daigné l'arborer pour faire immortaliser son visage.
Figée sur place par le spectacle de cet homme, elle fut ramenée à la réalité par le même vertige qu'elle avait déjà ressentit la première fois qu'elle avait saisit la pierre. Instinctivement, elle leva une main qu'elle plaqua sur sa poitrine, là un léger renflement indiquait la cachette de la bourse et de son contenu.
Des exclamations de surprise et légèrement apeurées l'aidèrent à focaliser son attention sur la table qui se trouvait à quelques mètres d'elle. Baltrigon – son démon de géniteur – n'affichait plus du tout le moindre plaisir. En fait, il semblait être sur le point de vomir. Il se mit alors à regarder tout autour de lui. Lorsque son regard et celui de Solyane se croisèrent ce fut comme si la foudre venait de s'abattre sur la jeune femme. Lui-même eut alors l'air d'avoir avalé quelque chose de travers. Il se leva et vacilla un instant. Solyane, elle, était à présent totalement incapable de bouger. Ce fut pire encore lorsque Baltrigon vint se planter devant elle, la dominant de toute sa hauteur. Il l'empoigna à l'endroit où elle avait caché la bourse, comme s'il savait où elle se trouvait et ce qui s'y trouvait. De fait, il devait le savoir car, sans la moindre gêne et toujours sans un mot, il tira la bourse du corsage de cuir et l'ouvrit sans plus de manière. Il sortit l’œil de chat qui luisait doucement. La jeune femme se souvint alors de ce que Kephret lui avait dit : « Cette pierre sera ton meilleur guide ». Baltrigon dévisagea alors Solyane. Son regard d'obsidienne était inquiétant.
- Qui es-tu ? Gronda-t-il.
Sa voix était grave, profonde. Et, pour le coup, porteuse de menaces implicites. La jeune femme sentait que le moindre mensonge, le moindre refus de se soumettre à l'autorité de ce démon, serait sévèrement châtié. De toutes manières, elle sentait les mots sortirent malgré elle de sa bouche sans qu'elle ait pris le temps d'y réfléchir.
- Solyane. Je... Je suis votre fille...
Elle se serait donné des baffes, si elle avait pu ! Qu'avait-elle besoin de lui avouer une chose pareille ? Il n'était visiblement pas le genre d'homme qui avait besoin de savoir qu'il avait une enfant illégitime et encore moins prêt à se découvrir une quelconque fibre paternelle. Le regard glacial qu'il lui renvoya en fut la meilleure des confirmations.
- Ma... fille ?
Tellement de mépris dans deux simples mots ! On ne pouvait pas se montrer plus clair et Solyane put utiliser cette condescendance pour attiser sa colère et sa haine des démons pour reprendre un peu d'aplomb. Un peu, guère plus. Il faudrait en tous cas qu'elle s'en contente pour réussir à aller jusqu'au bout.
- Votre pierre... Elle a ensorcelé l'un de mes amis qui n'a eu que le seul tord de la voler à votre comparse, Kephret ! Je suis venue vous demander de lever la malédiction.
Un instant, aussi long que l'éternité, le silence s'installa entre eux. Le démon et l'humaine, le père et la fille. Le noir sondant le violet, l’obsidienne face à l'améthyste. Puis l'expression du démon changea et il éclata alors d'un profond rire où l'incrédulité et la moquerie s'unissaient en échos retentissants. Plusieurs regards se tournèrent vers eux. Baltrigon mit quelques minutes à se calmer.
- Bien joué ! On ne m'avait pas fait d'aussi bonne blague depuis des lustres ! Mais, sincèrement ? Tu n'as rien trouvé de mieux que de te faire passer pour ma fille ?
Cette fois, la colère monta suffisamment en Solyane pour balayer toutes ses peurs. Evidemment, ce n'était pas la meilleure idée qu'elle pouvait avoir de s'énerver contre un démon, mais la vie de son amie était en jeu.
- Ce n'est pas une blague ! Je me fiche que vous me croyiez ou non, je vous demande seulement de lever la malédiction que mon ami subi parce qu'il a mis la main sur cette pierre ! Kephret m'a dit que vous seul en étiez capable !
Comprenant qu'elle était sérieuse, le démon cessa de rire.
- Kephret, hein ? Ce vieil imbécile ! Je ne sais pas ce qu'il t'as raconté, mais...
- Cette pierre m'a menée jusqu'à vous, comme il l'avait dit. Et mon ami est en train de mourir à cause d'elle !
Baltrigon sembla soudain prendre conscience qu'ils étaient le centre d'attention du reste de la maison de jeu. L'homme que Solyane avait vu un peu plus tôt, le gérant, s'approcha d'eux.
- Il y a un problème, Monsieur ? Cette demoiselle vous importune ?
Baltrigon sembla réfléchir un instant puis hocha négativement la tête.
- Rien dont je ne puisse m'occuper seul, Croupier ! Mais je vais avoir besoin d'avoir une discussion seule à seule avec elle ! Loin des curieux malintentionnés.
L'homme s'inclina et bientôt des employés dévoués firent en sorte que tout le confort soit apporté à Baltrigon. Solyane se vit donc contrainte de suivre le démon jusqu'à une pièce isolée et fermée. Une perspective peu enthousiasmante.
- Maintenant, tu as intérêt à me raconter tout ce que tu sais de moi ! Et qui tu es vraiment !
Avec cet air menaçant, il ressemblait d'avantage à la miniature que lui avait présenté Kephret.
- Je ne sais rien de vous. Je ne connaissais même pas ce Kephret avant de le rencontrer sur la Terre des Rescapés. Mon ami est... Enfin, il a trouvé amusant de l'alléger de sa bourse. Il ignorait qui il était. Raconta alors Solyane d'une voix prudente. Et à cause de cette pierre... Cet œil-de-chat, il est tombé très malade et se sent mourant. J'ai été rendre la bourse à la victime, Kephret. Il a commencé par me dire qu'il se moquait du sort de mon ami. Puis il a changé d'avis, s'est intéressé à moi et c'est à ce moment-là qu'il m'a parlé de vous. Il a affirmé que si je voulais sauver mon avis, je devais suivre votre piste. Selon lui, la pierre allait m'indiquer lorsque je vous aurais trouver. Il m'a montré une miniature de votre portrait et m'a parlé de vos habitudes ici, dans ce casino. Je ne sais rien de plus !
- Tu as prétentieusement indiqué que tu étais ma fille ! Et je n'apprécie pas ce genre de mensonges !
- C'est encore quelque chose que je tiens de Kephret. Il a commencé à me poser des questions sur moi lorsque je lui ai dit qu'il m'était impossible de toucher l’œil-de-chat. Parce que son pouvoir trouverait un écho dans mon ascendance démoniaque tout en rejetant mon sang humain. C'est en tous cas ce qu'il a prétendu.
Le peu de couleur qui avait pu exister sur le visage de Baltrigon disparut.
- Tu es humaine ?!
Solyane hocha fièrement la tête. Si son père était véritablement ce démon, au moins avait-elle hérité de l'humanité de sa mère. Elle n'aurait jamais pu se regarder en face si elle avait eu ne serait-ce qu'une part de démon en elle ! Se savoir déjà « marquée » était déjà suffisamment écœurant. Si l'idée d'avoir une descendante humaine dégoûtait Baltrigon, alors ce n'était qu'un juste retour des choses. Il n'avait qu'à laisser sa mère, bien humaine, tranquille. Mais très vite le regard choqué du démon se fit calculateur.
- Tu es une humaine, à peine sortie des langes, et tu es venu jusqu'ici dans le seul but de... Comment as-tu dit, déjà ? De « me demander de lever la malédiction ».
Solyane acquiesça. Formuler ainsi, elle avait conscience que c'était une demande ridiculement optimiste. Elle n'avait toujours aucune idée de la façon dont elle pourrait convaincre le démon d'accepter.
- Qu'es-tu prête à payer pour cela ? Demanda Baltrigon.
Solyane le regarda sans comprendre. Elle n'était pas idiote et se doutait bien que cette question sous entendait tout un tas de propositions déplaisantes.
- Tout a un prix ! Sauver la vie de ton ami pourrait effectivement être dans mes cordes mais en ce bas monde on a rien sans rien ! Et je n'ai pas pour habitude de faire quoi que ce soit sans que ça me rapporte quelque chose.
- Je... Combien ?
Solyane était certaine qu'elle n'aurait jamais assez de toute une vie de dur labeur pour payer la somme qu'il allait lui demander pour ce service. Mais si Locke pouvait faire partie de cette vie aussi longtemps que possible.... Baltrigon se redressa.
- Pour sauver une vie qui t'es chère... Rien de moins que ton âme !
C'était pire que tout ce que Solyane aurait pu craindre. La démon, avec l'air du chat qui s'apprête à croquer la souris acculée, poursuivit :
- Accepte et ton ami aura la vie sauve. Je serais même prêt à te renvoyer chez toi en sécurité. Refuse et non seulement tu perdras cet être si précieux pour toi, mais il se pourrait que tu ne réussisses même pas à quitter ce continent en vie. Que dis-je ? Ce casino, même !
Il eut un geste vers la porte fermée. Accepter de se départir de ce qui faisait d'elle une humaine et sauver une vie innocente ou refuser et avoir la mort de Locke sur la conscience. Enfin, pendant le peu de temps qu'elle aurait encore à vivre. Elle songea alors à Alicia, Louison et tous ces gamins qui dépendaient entièrement de la protection de Locke. Qu'allaient-ils devenir sans lui ? Le cœur lourd, songeant qu'elle aurait d'innombrables occasions de regretter sa décision, elle tendit la main vers Baltrigon.
- Sauvez-le. Soupira-t-elle à mi-voix.
- Appelle-moi « Père », pour voir l'effet que ça fait ! Et supplie-moi, aussi, pour faire bonne mesure !
Pendant un bref instant elle songea à lui planter un dague en travers de la gorge. Cela les condamnerait, Locke et elle, mais elle aurait au moins eu le réconfort de supprimer l'un des démons. Mais là encore : Que deviendraient ceux qui seraient alors privés de la présence de Locke ? Le regard brûlant de haine, la voix grinçante elle prononça donc les mots suivants :
- Je vous en supplie... Père... Sauvez mon ami !
Le sourire de délectation qui étira les lèvres du démon et son regard suffisant aurait presque pu suffire pour souffler la moindre retenue de la jeune femme. Finalement il s'empara de sa main.
- Ton âme est donc à moi ! Et comme je n'ai qu'une parole, ton ami survivra. Et toi tu vas tranquillement rentrer chez toi ! Ce fut un plaisir de faire ta connaissance, ma chère fille !
Le monde se troubla et se mit à tourner bien plus vite. Puis son champ de vision s'assombrit, comme si son esprit se déconnectait de la réalité. Elle ne sentait plus son corps, ne sentait plus rien. Sans s'en rendre compte, elle sombra dans le néant de l'inconscience.
* * *
- ane... 'lyane...
Une voix semblait l'appeler, mais elle n'était pas encore prête à se réveiller. Comme après ces nuits où le sommeil nous a longtemps fui avant que notre corps cède finalement et qu'on vient nous tirer de notre repos beaucoup trop tôt.
- Solyane !!
A nouveau, la voix retentit. Plus claire, cette fois, et plus familière. Elle ouvrit péniblement les yeux. Elle discerna d'abord les couleurs et des formes floues. Une silhouette était penchée sur elle, auréolée de la masse brune de ses cheveux. Un nom flotta à la lisière de sa conscience. Elle s'y accrocha.
- Alicia ?
Sa gorge était sèche, rapeuse. Elle sentit alors qu'on lui pressait quelque chose contre les lèvres. Elle but immédiatement.
- Tu nous as fait une de ces peurs. Avoua alors la voix d'Alicia. Tu es apparue de nulle part, inconsciente et pâle comme une morte ! D'ailleurs j'ai bien cru que tu l'étais pendant un instant. Tu ne respirais quasiment plus et c'est à peine si j'ai senti ton cœur battre !
Solyane cilla plusieurs fois pour s'éclaircir la vue et regarda alors son amie. Elle avait l'air d'avoir pleuré. Et elle semblait être encore effrayée. Solyane se redressa lentement en position assise. Elle se sentait bizarre. Pas tout à fait elle-même. Mais elle n'arrivait pas tout à fait remettre ses souvenirs en place. Involontairement, ce fut Alicia qui l'aida à faire le tri dans ses pensées embrouillées.
- Tu as réussi ? Le propriétaire de la bourse, il a accepté de lever la malédiction ?
- La malédiction ?
Des bribes des derniers événements vécus lui revinrent.
- Locke ! Comment va-t-il ?
- Il est toujours malade mais sa fièvre est un peu tombée. Et il a arrêté de s'agiter à tout bout de champs. Il dort plus sereinement.
Solyane retomba sur sa paillasse. Locke allait mieux. Mais qu'allait-il lui arriver, à elle, maintenant ? Malgré elle, des larmes lui montèrent aux yeux. Pendant des années elle avait essayé d'imaginer son père. La vérité pouvait se montrer tellement cruelle parfois ! Elle ferma les yeux et les larmes coulèrent. Amertume, colère, déception... Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle pleurait, mais il lui fut impossible de les endiguer ou de calmer les sanglots qui la prirent à cet instant !
Solyane: [7145 mots] 3 points de caractéristique + Mise Or: 2 points de carac
2 points de Résistance à la magie
1 point de Charisme
1 point de Dextérité
1 point d'Intellect