- Locke ? Locke !
Le jeune homme releva la tête, sortant de ses pensées. Il tourna ses yeux bruns vers Alicia, se rendant alors seulement compte qu'elle avait dû lui poser une question dont elle attendait une réponse.
- Excuse-moi ! J'étais... ailleurs !
- Ça je m'en suis rendue compte ! A quoi pensais-tu ?
Locke garda un instant le silence ? Il pensait souvent à beaucoup de chose. Mais une seule revenait toujours dans son esprit, avec son cortèges de sentiments contradictoires. Néanmoins il s'agissait là de son jardin secret.
- A rien, rien d'important ! Mentit-il. Qu'est-ce que tu me disais ?
- Je te demandais si tu avais vu Solyane, ces derniers temps ?
Le cœur de Locke bondit dans sa poitrine. Comme à chaque fois, la seule mention de ce nom suffisait à le faire réagir intensément.
- Sol ? Euh... Non, non, je ne l'ai pas vue ! Pourquoi ?
Il avait réussi à conserver une expression relativement neutre. Mais dans son cerveau c'était le branle-bas de combat.
- Ça fait combien de temps qu'elle est partie, cette fois ? Deux jours ?
- Trois. Rectifia automatiquement Locke.
Il se traita instantanément d'idiot. De quoi avait-il l'air à compter les jours où il ne voyait pas Solyane ?
- Elle n'est jamais partie aussi longtemps.
Locke savait qu'Alicia ne cherchait pas à lui tirer les verres du nez au sujet de leur amie. Elle était bien trop douce et franche pour ça. Si elle avait eu le moindre soupçon de ses sentiments exacts pour la jolie brune, elle lui aurait posé directement la question. Cependant, avant de se faire prendre à en révéler plus qu'il ne le voulait, il opta pour une fuite stratégique. Alicia appréciait beaucoup Solyane et ses aventures en dehors de la ville l'inquiétaient.
- Désolé, Alicia, mais j'ai des choses à faire ! On se voit plus tard ! La salua-t-il en se levant et en quittant le refuge où restaient les plus jeunes des orphelins que Locke avait pu trouver errant dans la ville.
Comme à chaque fois que son esprit s'attardait trop sur Solyane, son cœur s'en mêlait. Il suivit son chemin habituel pour rejoindre les toits. Son chemin habituel... Combien de fois Solyane ne lui avait-elle pas fait la remarque qu'il avait beaucoup trop d'habitudes pour son propre bien ? Un sourire en coin retroussa l'ourlet de ses lèvres. Il ne les comptait plus mais il aimait l'entendre se soucier de lui. Il connaissait la jeune femme depuis... Eh bien depuis presque toujours. Elle était à peine plus qu'une enfant lorsqu'Alicia, Glendal, Geoffroy, Léane et lui l'avaient trouvée, à moitié morte, dans cette ruelle.
Locke s'arrêta sur le toit d'une forge. Le vent était frais, ce matin-là et la chaleur qui émanait du bâtiment était agréable. Il savait que le propriétaire des lieux n'aimait pas que les « garnements » comme il disait, viennent passer leur temps libre à lézarder sur le toit de sa demeure. Mais Locke décida de ne pas en tenir compte. Tant qu'à rêvasser, autant le faire au chaud. Il ferma les yeux et se plongea dans ses souvenirs.
Ses amis et lui avaient entendus les bruits de coups et les cris. Par curiosité, ils avaient décidé d'aller voir ce qui se passait. Par prudence, ils s'étaient tenus suffisamment cachés pour ne pas être mêlés à une histoire qui ne les auraient pas concernés. Finalement, coups et cris avaient cessés avant même qu'ils ne puissent voir quoi que ce soit. Lorsqu'ils étaient arrivés, il ne restait plus que cette silhouette fine, habillée très simplement, poissée de sang. Glendal et Léane, les plus jeunes de la bande à ce moment-là, s'étaient tétanisés, pensant voir un cadavre. Locke, lui, était descendu, rapidement suivi d'Alicia. La fillette saignait, était terriblement pâle et restait inerte, mais elle vivait. Il avait écarté les mèches brunes, mal coiffées, de son visage délicat. Il avait sentit son souffle faible sur sa main. Dégoûté du sort que venait de subir la pauvrette, il avait décidé de l'emmenée dans un endroit sûr.
Locke rouvrit les yeux en entendant des cris. Pendant un instant il crut que c'était le forgeron ou un membre de sa famille qui l'avait repéré. Mais non, en fait, c'était simplement deux marchants qui se disputaient la priorité de passage dans une rue un peu trop étroite pour leurs deux carrioles. Chacun arguait de son mieux pour faire valoir sa supériorité.
- Je me rends au palais pour livrer de l'armement ! Ce n'est que justice de me laisser passer d'abord ! Déclara l'un.
Locke décrocha du reste de la conversation. La justice. Le mot phare du mode de vie de Solyane depuis quelques années. Certes, elle était parfois un peu trop radicale mais c'était précisément depuis qu'elle luttait farouchement pour cet « idéal » que Locke avait découvert la profondeur des sentiments qu'il nourrissait pour elle. Il n'aurait su dire à quel moment exactement il avait commencé à la regarder autrement que comme une petite sœur. Elle était superbe. Ses longs cheveux aux reflets presque bleus, ses yeux violets si clairs, sa bouche... Cette bouche qu'il avait si souvent rêvé d'embrasser. Ce corps fin et souffle qu'il avait si souvent eu envie de tenir contre lui et de caresser. Solyane était belle, désirable à souhait, et totalement hermétique à la moindre tentative de séduction. Pire encore, elle fuyait le moindre contact tendre, le moindre geste ambigu. Il avait fallu à Locke une détermination sans faille pour lui faire simplement accepter le diminutif qu'il lui avait décerné. La seule marque de tendresse et de proximité qu'il pouvait maintenir en toute occasion. Avec du temps et de la patience, il avait eu l'immense privilège de pouvoir la prendre dans ses bras lorsque le fardeau de ses souvenirs ou de sa vie devenait un peu trop lourd à porter pour les seules épaules de Solyane. Il chérissait ces moment-là plus que n'importe quel autre trésor au monde.
Lui, le voleur, le monte-en-l'air, le pilleur, qui se moquait allégrement des lois et de ses représentant, ployait l'échine sous l'interdiction silencieuse d'un seul être ne possédant aucune autorité. Et là où le trésor d'un roi aurait comblé n'importe qui, lui ne soupirait qu'après deux améthystes, enchâssées dans un écrin de satin pâle rehaussé de rubans de velours pourpres.
Locke se redressa avec un soupir. Il passa une main dans ses cheveux châtain et ses yeux voilés de mélancolie se perdirent vers l'horizon. Pour la centième fois, au moins, il se demanda où se trouvait celle qu'il aimait tant et si elle allait bien. Si seulement il l'avait accompagnée cette fois-là encore. Pouvoir partager ces trois jours avec elle. Et sentir se creuser plus profond cette plaie déchirante : Il aimait une femme qui ne l'aimerait sûrement jamais en retour.
1127 mots